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30 octobre 2025
« La technologie des piles à combustible a dépassé le moteur thermique » Les progrès récents confirment la pertinence de la mobilité à hydrogène
Entretien avec Sae Hoon Kim, ingénieur, responsable de la stratégie hydrogène de Hyundai et directeur du développement des piles à combustible depuis 20 ans.

Dans cet entretien, Sae Hoon Kim partage son analyse et ses perspectives sur les dernières avancées de la technologie des piles à combustible, notamment celles récemment présentées par les équipes R&D de Toyota lors du salon de Hanovre.
Sae Hoon Kim a été vice-président exécutif et directeur du centre des piles à combustible du groupe Hyundai Motor pendant près de deux décennies, menant la stratégie mondiale et les innovations du groupe dans le domaine de l’hydrogène. Architecte clé de la vision « Fuel Cell Vision 2030 » de Hyundai, il a joué un rôle déterminant dans la position de leader du groupe en matière de mobilité zéro émission — depuis le premier SUV à pile à combustible ix35 jusqu’aux applications dans les poids lourds et la propulsion maritime.
Avec plus de vingt ans d’expérience dans le développement des piles à combustible, Sae Hoon Kim est reconnu comme l’un des grands penseurs de l’économie de l’hydrogène, façonnant l’ambition de Hyundai de faire de l’hydrogène une pierre angulaire du futur écosystème énergétique.
Hyundai Motor fut l’un des premiers constructeurs mondiaux à commercialiser des véhicules à pile à combustible à hydrogène, lançant en 2013 le premier SUV à pile à combustible au monde. Depuis, la technologie a continué d’évoluer — en efficacité, en densité énergétique et en diversité d’applications — grâce à la polyvalence de la molécule d’hydrogène et à l’innovation constante des équipes d’ingénierie.
Hy24 : Dr Kim, vous avez récemment mentionné avoir été impressionné par les dernières annonces de Toyota. Qu’est-ce qui vous a surpris ?
Dr Sae Hoon Kim (SHK) : En réalité, ce n’était pas au salon de Hanovre, mais plus tôt cette année, lors du Fuel Cell Expo au Japon. Toyota a annoncé son nouveau système de pile à combustible une semaine avant l’événement, et l’a présenté sur place. J’ai été sincèrement très surpris — car j’ai longtemps été sceptique sur la capacité des piles à combustible à réellement égaler ou dépasser les moteurs à combustion interne, notamment en termes de densité de puissance et de durabilité.
Hy24 : Pourtant, on dit souvent que les piles à combustible sont plus efficaces — environ 60 % — contre à peine 25 % pour les moteurs thermiques.
SHK : C’est vrai. Même le système de pile à combustible de Hyundai atteint déjà 60 % d’efficacité. Mais le problème ne résidait pas seulement dans l’efficacité : c’était aussi une question de densité de puissance volumétrique et massique.
En général, les piles à combustible étaient moins performantes que les moteurs à combustion sur ce point, et les ingénieurs avaient du mal à loger le système de pile dans le compartiment moteur traditionnel. Même lorsqu’ils y parvenaient, la puissance délivrée restait inférieure à celle d’un moteur classique.
Ce que Toyota a accompli aujourd’hui est remarquable : ils ont doublé la densité de puissance par rapport à leur génération précédente (celle de la Mirai 2). Même volume, mais deux fois plus de puissance. On passe ainsi de 120–140 kW à environ 240 kW dans le même espace.
Hy24 : C’est un bond énorme. Et qu’en est-il de la durabilité ?
SHK : Encore plus surprenant. Toyota affirme avoir doublé la durabilité par rapport à la Mirai 2, qui était déjà extrêmement robuste. Si vous regardez les taxis à pile à combustible à Paris, ils sont pratiquement indestructibles. Toyota indique que ce nouveau système atteint désormais la durabilité d’un moteur diesel. Et c’est considérable — le diesel est la référence en matière de longévité.
Nous avons donc maintenant un système à pile à combustible potentiellement plus petit qu’un moteur thermique, plus efficace, et tout aussi durable.
Hy24 : Et on entend dire qu’ils fonctionnent désormais à des températures plus élevées ?
SHK : Ce point n’a pas été officiellement confirmé par Toyota, mais beaucoup d’ingénieurs — moi y compris — pensent qu’ils ont significativement augmenté la température de fonctionnement. L’indice se trouve dans la pompe de refroidissement : elle n’est pas plus grande, malgré la puissance supérieure, ce qui suggère une température du liquide de refroidissement d’environ 105 °C. Cela correspond à l’objectif fixé par le programme japonais NEDO 2030.
Pour référence, les moteurs thermiques atteignent environ 110 °C. Cela ouvre la voie à une utilisation dans les climats chauds et sous fortes charges, ce qui posait auparavant problème pour les piles à combustible.
Hy24 : En résumé : les piles à combustible affichent désormais une meilleure efficacité, densité de puissance et durabilité que les moteurs thermiques. C’est une avancée majeure.
SHK : Oui. Techniquement parlant, les piles à combustible ont désormais surpassé les moteurs thermiques sur tous les plans essentiels. Et il reste encore de la marge de progression.
Si l’on observe les objectifs 2035 et 2040 du NEDO, on vise à terme une efficacité allant jusqu’à 80 %. À ces niveaux de performance, dès que la production en volume augmentera, les coûts baisseront naturellement.
Hy24 : Mais la concurrence aujourd’hui, ce ne sont plus tant les moteurs que les batteries.
SHK : C’est vrai. Mais selon mes propres modèles de coût, je pense que les piles à combustible — y compris le stockage d’hydrogène — pourront devenir moins chères que les batteries à des volumes de production moyens.
Disons environ 100 000 unités par an et par constructeur. Nous n’y sommes pas encore, mais c’est atteignable.
Hy24 : Bien sûr, l’infrastructure reste un frein.
SHK : Oui, l’infrastructure est cruciale, et encore très inégale.
La Corée compte environ 300 stations de ravitaillement en hydrogène, le Japon 190, et la Chine près de 400. Mais le réseau américain se réduit, et l’Europe reste en retard. L’ensemble de l’Asie regroupe environ 90 % des stations mondiales.
Hy24 : Donc la technologie est prête, mais le déploiement mondial reste fragmenté.
SHK : Exactement. Ce que j’ai souligné récemment, c’est qu’il faut considérer toute la chaîne de valeur de l’hydrogène.
Auparavant, les fabricants de piles à combustible se concentraient sur le stack, et ceux des électrolyseurs sur la production d’hydrogène. Ce n’est plus suffisant. Il faut des solutions intégrées : production, stockage, distribution et utilisation finale doivent être pensées ensemble.
C’est pourquoi les entreprises qui produisent et consomment leur propre hydrogène — comme dans le secteur minier ou l’industrie lourde — commencent à réussir.
Hy24 : Et au-delà de la mobilité, qu’en est-il des applications stationnaires ou maritimes ?
SHK : Le secteur maritime est essentiel. Pour donner un ordre d’idée : un seul navire à hydrogène peut nécessiter jusqu’à 800 tonnes d’hydrogène par voyage (y compris les carburants dérivés comme l’ammoniac ou le méthanol).
Cela dépasse de loin toute application terrestre. D’ici 2050, nous estimons que la demande maritime en hydrogène pourrait dépasser 1 000 mégatonnes par an. Les nouvelles réglementations de l’OMI (Organisation Maritime Internationale) vont accélérer cette transition. Et les piles à combustible sont probablement la seule solution durable à long terme pour une propulsion maritime propre.
Hy24 : Pensez-vous que le craquage de l’ammoniac à bord des navires pour produire de l’hydrogène soit réaliste ?
SHK : Techniquement, oui — et peut-être inévitable pour les navires de haute mer. Les piles à combustible utilisant directement l’ammoniac posent encore des difficultés, notamment les piles SOFC, sensibles à la nitruration. J’ai d’ailleurs rédigé un rapport de 50 pages expliquant pourquoi cette voie n’est pas encore viable. Mais craquer l’ammoniac à bord pour produire de l’hydrogène, puis l’utiliser dans des piles PEM, est une direction prometteuse — déjà en cours d’essais.
Hy24 : Vous considérez donc les carburants à base d’hydrogène comme la solution la plus prometteuse pour la propulsion maritime ?
SHK : Oui. Les carburants fossiles combinés à la capture du carbone embarquée (OCC) peuvent jouer un rôle transitoire, mais selon moi, les carburants à base d’hydrogène sont la seule option viable à long terme pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
La capture du CO₂ pose un problème fondamental : il faut capturer, liquéfier et stocker le CO₂ à bord, ce qui demande une quantité énorme d’énergie.
De plus, cela nécessiterait de développer une infrastructure mondiale du CO₂ — transport, stockage, etc. — dans presque tous les ports du monde.
À mes yeux, cette complexité rend la solution OCC impraticable à grande échelle.
En revanche, les carburants à base d’hydrogène — ammoniac, méthanol ou hydrogène pur — sont scalables, de plus en plus compétitifs et pleinement alignés sur les objectifs de décarbonation de l’OMI.
C’est, selon moi, la voie la plus réaliste pour assurer l’avenir de la propulsion maritime et contribuer efficacement à la transition énergétique mondiale.
Hy24 : Et concernant les coûts — pensez-vous que le coût des matériaux reste compétitif ?
SHK : Absolument. J’ai calculé le coût matière brute d’un système de pile à combustible de 100 kW avec un réservoir d’hydrogène de 6 kg : environ 4 000 dollars.
C’est déjà très abordable — bien moins cher qu’on ne l’imagine — mais le coût de fabrication reste élevé à cause des faibles volumes.
Grâce aux progrès récents (membranes plus fines, moins de platine, suppression des humidificateurs, meilleurs catalyseurs), nous avons fait d’énormes avancées.
Mais le facteur décisif reste la production de masse. Avec la technologie actuelle, je pense que la pile à combustible est enfin prête pour la fabrication à grande échelle.
Hy24 : Vous travaillez sur les piles à combustible depuis plus de 20 ans. Sommes-nous enfin à un tournant ?
SHK : Techniquement, oui. C’est le moment le plus enthousiasmant de ma carrière.
Tous les cinq ans, la densité de puissance et la durabilité doublent. Toyota a pris de l’avance, mais les autres constructeurs rattraperont le retard d’ici 3 à 5 ans.
Ce qu’il faut maintenant, ce sont des politiques publiques, des infrastructures et des investissements pour passer à l’échelle — surtout en Europe, qui dispose d’un cadre réglementaire solide mais reste en retard sur le déploiement de l’hydrogène.
Hy24 : Quand pensez-vous que les piles à combustible pourront réellement rivaliser sur le marché de masse ?
SHK : Entre 2028 et 2030.
C’est à ce moment que la combinaison de la maturité technologique, de la pression réglementaire et du développement des infrastructures pourrait créer un point de bascule — pour les transports comme pour les applications stationnaires.
Et une fois les réglementations maritimes en vigueur après 2028, la demande en hydrogène va exploser.
Il faut s’y préparer dès maintenant — ports, routes maritimes, production et logistique.
La technologie est prête. Ce qui manque, c’est la coordination mondiale.
Crédit photo : Quentin Hoyaux

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